Chapitre XV

Un bruit de bottes sur le dallage éveilla Priscilla. Elle avait la tête lourde mais se sentait détendue. Elle étouffa un soupir en s’étirant. Le connétable pénétra à cet instant dans sa chambre. Il portait son armure et tenait son heaume sous le bras.

— Je tenais à vous faire mes adieux. Mon honneur m’interdit de fuir comme un lâche devant l’ennemi pour obéir à un roi que je n’estime pas. J’ai réuni une vingtaine de chevaliers qui partagent mes sentiments. Nous allons nous porter au devant de l’ennemi que nous affronterons dans un combat loyal, en pleine lumière comme des preux que nous sommes. Les Godommes sentiront le poids de nos armes et comprendront qu’on ne peut vaincre aisément un porteur du cristal.

La princesse se leva d’un bond sans se soucier de sa tenue qui soulignait ses charmes plus qu’elle ne les masquait.

— Je désire vous accompagner car je partage vos convictions et je le dois à la mémoire de Renaud.

— C’est impossible, rétorqua le connétable.

— Je le veux ! Avec ou sans votre consentement, je vous suivrai.

Le connétable resta un moment indécis avant de soupirer :

— Soit ! Mais promettez-moi de rester en arrière au moment du combat. Préparez-vous vite car nous souhaitons partir dès l’ouverture des portes de la ville.

Il sortit pour la laisser s’habiller. Elle ne tarda pas à émerger de la chambre, vêtue d’un élégant costume de cavalier. Elle avait ramené sa chevelure brune sous une toque de velours rouge.

— Souhaitez-vous faire prévenir votre frère ?

— Nullement ! Il s’apercevra toujours assez tôt de ma disparition.

Le connétable la guida jusqu’aux écuries. Son dalka était déjà sellé et il fit préparer une monture pour Priscilla. Dix minutes plus tard, ils quittaient le château et descendirent la rue principale encore peu animée à cette heure matinale.

Une petite troupe en armes les attendait près des remparts. Dès la sortie de la ville, les cavaliers s’élancèrent sur la route au grand trot. Ils chevauchèrent toute la matinée. Quand le soleil fut au zénith, le connétable ordonna une halte. Une misérable chaumière les abrita tandis que le paysan fort effrayé par cette venue de chevaliers, s’occupait de faire boire les dalkas. Reposée et désaltérée, la troupe se remit en route.

— Pensez-vous que nous rencontrerons des Godommes ? demanda Priscilla au connétable. Je gage que ces vilains se sont déjà repliés derrière leur frontière.

— Je crains que ce ne soit pas le cas. Je voudrais montrer au roi qu’un groupe de chevaliers, quand ils font preuve de courage, peut repousser des envahisseurs.

La troupe traversait maintenant une vaste plaine où l’herbe commençait à se dessécher sous le soleil. À son extrémité, une forêt était visible. Le chemin de terre battue menait vers elle.

Le connétable qui transpirait d’abondance sous sa cuirasse, dit :

— Une halte à l’ombre sera la bienvenue.

Ce séduisant programme fut bousculé car une troupe de Godommes sortit de la forêt et se déploya dans la plaine. Environ une centaine de cavaliers qui composait l’escadron de reconnaissance envoyé par Radjak. Orkal, de la tribu des Buffles, qui le commandait immobilisa sa troupe. Il ne souhaitait pas engager le combat, se souvenant des ordres de Radjak. Une simple observation, avait-il précisé. Le châtiment de Katlo était présent à sa mémoire. Il resta un moment à observer l’adversaire.

— Ils sont peu nombreux, dit le cavalier posté à sa droite. Attaquons-nous ?

— Attendons de voir ce qu’ils vont faire. Normalement, ils devraient se replier.

— Ce ne semble pas le cas, ricana l’homme.

De fait, le connétable faisait aligner ses chevaliers.

— Pour l’honneur du royaume, hurla-t-il, exterminons ces vilains.

Il éperonna vigoureusement son dalka qui partit au galop de ses six pattes, aussitôt suivi par les autres chevaliers. Restée en arrière, Aliva suivait leur course des yeux.

— Ils vont écraser ces manants, martela-t-elle comme pour s’en persuader.

Les Godommes s’étaient élancés à leur tour, bien alignés. Soudain, lorsqu’ils furent à cinquante mètres, ils s’écartèrent sur la droite et la gauche. Les chevaliers poursuivirent leur avance sans rencontrer d’adversaires. Ils n’eurent pas le temps de ralentir leur course pour faire demi-tour. Déjà, les Godommes venaient sur leurs arrières. Selon une tactique bien rodée, deux cavaliers encadraient chaque chevalier tandis qu’un troisième piquait l’arrière-train du dalka pour l’obliger à poursuivre sa course.

Parfois, un chevalier parvenait à frapper le cavalier sur sa droite mais celui de gauche avait alors la possibilité de l’atteindre. Un à un, les gens de Fréquor roulaient dans la poussière. Le connétable fut un des derniers à succomber après avoir mis à mal trois Godommes.

Incrédule, doutant de ses sens, les yeux noyés de larmes, Priscilla assista à l’anéantissement de ses amis. Elle ne comprenait toujours pas que des preux chevaliers soient battus par des vilains. C’était contraire à tous les récits qu’elle avait lus. Quand le désastre fut consommé, elle songea alors à fuir mais ce fut trop tard. Déjà, quatre Godommes l’entouraient.

— Je me rends, hurla-t-elle d’une voix aiguë.

Surpris de découvrir une femme, les Godommes ne la frappèrent pas mais l’un d’eux saisit les rênes pour obliger la cavalière à les suivre. Ils la tramèrent ainsi jusqu’à leur chef. Orkal examina la prisonnière avec un sourire.

— Voilà qui va nous faire passer une agréable soirée. Un petit viol entre amis sera le bienvenu. Elle a l’air robuste et devrait pouvoir satisfaire beaucoup d’entre nous.

À cette idée, Priscilla blêmit.

— Je vous interdis de me toucher ! Je suis la princesse Priscilla, la fille du roi Johannès.

Orkal hocha la tête, vrillant son regard sur celui de la fille.

— J’espère pour toi que tu dis la vérité. Tu seras le présent que j’offrirai à mon maître, le Csar. Si tu as menti, attends-toi à de très désagréables moments. Radjak n’aime pas qu’on se moque de lui et te donnera en pâture à son nouveau falkis.

Il désigna cinq cavaliers.

— Vous allez immédiatement la conduire à notre souverain. Vous lui rendrez également compte de l’anéantissement d’un petit détachement ennemi puis vous reviendrez me porter les nouveaux ordres. Attention, je veux qu’elle arrive intacte au camp. Ne vous avisez pas de vouloir batifoler avec elle avant que notre Csar ne vous l’autorise. Si vous ne traînez pas en route, vous devriez rejoindre le gros de l’armée avant la tombée de la nuit.

Prudent, un des cavaliers passa une lanière de cuir autour des poignets de Priscilla avant de saisir les rênes du dalka. Ils partirent ensuite au grand galop.

L’esprit en déroute, la jeune femme tenta de se cramponner à sa monture, exercice difficile avec les mains attachées. Une heure s’écoula sans que l’allure ralentisse. Le groupe traversait maintenant une forêt assez dense qui apportait une ombre bienfaisante. Soudain, le dalka de tête trébucha sur une corde tendue en travers de la route, désarçonnant son cavalier qui roula dans la poussière. Les suivants, contraints de s’immobiliser, se virent entourés par des cavaliers. Le combat fut aussi bref que cruel et ils furent promptement éliminés.

Sidérée par la brutalité de l’action, Priscilla poussa un cri en reconnaissant Yvain. Ce dernier étouffa un juron.

— Princesse, que diable faites-vous ici ?

— Commencez par me détacher, grogna-t-elle.

Tandis qu’Yvain tranchait ses liens, elle débuta le récit de son aventure mais il l’interrompit.

— Il nous faut d’abord nous éloigner de la route pour ne pas risquer d’être surpris par l’armée des Godommes.

Ils coururent à travers bois une bonne demi-heure avant qu’Yvain n’ordonnât une halte dans une petite clairière. Il aida la princesse à mettre pied à terre. Après un bref instant d’hésitation, elle accepta la main tendue. Courbatue par la longue chevauchée depuis l’aube, elle s’assit au pied d’un chêne et reprit son récit.

— Courir sus à l’ennemi était faire preuve d’un grand courage.

— De témérité, tout au plus, marmonna-t-il.

— Le connétable a sauvé l’honneur du royaume !

— Il a surtout fait tuer vingt chevaliers qui auraient été plus utiles lors de la bataille décisive.

Elle eut un geste d’énervement en répliquant :

— Je savais que vous ne pourriez pas comprendre.

Son ton se radoucit quand elle reprit :

— Toutefois, je vous sais gré de m’avoir délivrée de ces vilains.

— Vous me posez un problème. Je vais devoir abandonner ma mission pour vous ramener à Fréquor.

— C’est hors de question ! De plus, la cour l’a déjà quitté et se trouve sur la route de Rixor. Mon cher frère doit avancer vite tant il a peur d’affronter un ennemi.

Yvain haussa ses robustes épaules, peu désireux d’engager une nouvelle polémique.

— Que comptez-vous faire ?

— Vous suivre pour surveiller votre manière d’agir.

— C’est ridicule ! Malheureusement, je ne puis vous attacher sur un dalka et vous ramener de force mais ne vous plaignez pas des désagréments qui risquent de vous arriver.

— Je suis seule responsable de mes actes !

— Fort bien ! Pour l’instant nous bivouaquerons ici car la nuit ne va pas tarder. Il vous faudra coucher à même le sol car nous n’avons rien pour dresser un campement et j’interdis d’allumer du feu pour ne pas risquer d’être repérés.

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